Trois petites histoires d’Istanbul: Sainte-Sophie et la malédiction de la touriste solitaire; le Hammam, célébration sultanissime de la féminité (2/2)

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Histoire n°2: Sainte-Sophie ou la malédiction de la touriste solitaire.

                Impossible d’y échapper… Après Topkapi, le palais du Sultan, le Grand Bazar, la Mosquée Bleue, la Citerne Basilique… Il y a l’incontournable Sainte-Sophie. Quand on arrive à Sainte-Sophie, il y a la horde de guides qui attendent le touriste. L’un d’eux m’accoste, je le remercie en lui disant je trouverai bien l’entrée toute seule comme une grande… Il insiste. Si je suis célibataire, il fait la visite gratuitement. Je rigole en m’éloignant et il continue de hurler que vraiment, si c’est le cas, j’aurai un guide pour moi toute seule.

 En un éclair, ma misère sentimentale bucarestoise me revient en mémoire.

Je me demande à quoi bon lutter. J’accepte.

J’ai conscience de mettre le pied dans un vicieux engrenage (mais ça devrait être drôle).

                Me voilà pénétrant dans Sainte-Sophie avec au bras un charmant petit guide au look de Jésus latin-lover. J’ai droit à de vraies explications avec des vraies dates et de vraies infos… Si si…. (enfin au début). Nous montons au premier (de Sainte-Sophie évidemment) et bienveillant comme il est, il propose de me tenir la main pour ne pas que je glisse sur la pente lissée par les pas des centaines de touristes quotidiens. En fait, il ne me propose pas de me prendre la main: il l’attrape vigoureusement. Impossible de me dépêtrer. C’est drôlissime de m’être laissée prendre au piège. A l’étage, “il y a un ange magnifique” dit-il …..”Mais pas aussi magnifique que moi” dis-je en même temps que lui pour anticiper sa blague de vendeur de tapis.

                 Ma visite de Sainte-Sophie, c’était comme un film dont vous connaissez pertinemment la suite. Vous voyez? Ceux dont on peut terminer chaque réplique, deviner chaque fin de scène tellement c’est téléphoné. Et pourtant, on continue de regarder. Entre deux cambrures assistées par le guide pour admirer les mosaïques, on en profite pour faire un peu connaissance. Ce n’est pas parce que notre histoire ne va durer que 45 minutes que nous sommes dispensés d’apprendre à nous  connaître. Dans l’escalier qui redescend, je fais une leçon de turc express et comme toutes les touristes guidées par ce fameux Kadir, mon accent laisse sûrement à désirer. “Il va donc falloir fermer les yeux pour que je me concentre mieux.” Certes, mon bon ami. Je vais fermer les yeux et comme ça, tu pourras violemment me plaquer au mur et ajouter un nom à ton interminable liste de pauvres touristes esseulées que tu auras coincées dans les dédales du bâtiment pour leur jouer ta comédie et leur voler un baiser.

                Je m’échappe et décide de l’attendre en bas de l’escalier. Dix minutes de bouderie plus tard, il finit par me rejoindre avec son air de petit macho oriental vexé. J’ai quand même droit à la suite du programme qui n’est qu’un jeu de fuis-moi-je-te-suis tout autour du rez-de-chaussée, sous le haut-patronage de Dieu et d’Allah. La fin de la visite finit par ramener le calme et invite à une dernière contemplation de la majesté du lieu.

                C’était chouette tout de même cette course-poursuite de séduction avec date d’expiration quasi-instantanée dans Sainte-Sophie… Ce chassé-croisé sous les mosaïques inestimables, ça valait vraiment le détour. C’est la fin de la visite. Je vais mettre les voiles vers le reste de la Corne d’Or. Sous l’oeil de tout le Gotha céleste, je profane joyeusement les anciennes église et mosquée que furent Sainte-Sophie en accordant enfin son baiser à mon petit guide.

                 (Mais ça va, parce qu’il a dit que “ça rendait le lieu encore plus saint”. Si vous êtes une jeune femme et qu’un jour, vous visitez Sainte-Sophie, demandez Kadir. C’est un jeune guide qui a un sens de la conscience professionnelle particulièrement développé. Et rouler des pelles à un guide dans Sainte-Sophie, ça doit sûrement porter bonheur.)

Histoire n°3: le hammam, célébration sultanissime de la féminité.

                (A croire que tout mon voyage est censuré… Il n’y avait pas de photo pour la pratique chez les Soufi, encore moins de ma visite de Sainte-Sophie, et surtout pas du hammam.)

                 J’avais deux impératifs sur ma liste en arrivant à Istanbul: manger un sandwich au poisson grillé en bord de Bosphore et aller au hammam. Je pense qu’après les fricotages de Sainte-Sophie, c’est le hammam qui s’enchaîne le mieux d’un point de vue narratif.

               Pour souder les femmes, il y a une technique meilleure que le ragot: le hammam. Dans le hall d’entrée carré, il y a des vieux divans où des bonnes femmes papotent, tandis qu’une plus jeune se fait épiler les bras “à l’ancienne” (enfin, ce que moi, je considère être “à l’ancienne”) avec des bandes tissus appliquées, rappliquées et arrachées violemment par une mama turque sans le moindre état d’âme. Charlotte, sa plus jeune fille et moi pénétrons dans les bains. L’air est saturé d’humidité et l’odeur de chaux attaque nos narines. Le hammam a 537 ans et il y règne une atmosphère sacrée. On s’assied toutes les trois sur le marbre au sol en entendant que le plic ploc des gouttes qui tombent du plafond… C’est le silence… Avant l’inoubliable sauvage bataille d’eau qui a suivi. Nues comme des vers, assises par terre avec des robinets d’eau chaude qui rappellent les fontaines du harem de Topkapi, les contenus des bassines volent en l’air pour exploser sur le dos de l’une ou le visage de l’autre. On rigole à n’en plus pouvoir comme d’innoncentes petites Eve.

                C’est le moment du massage. Sur la grande pièce carrée en marbre au centre de la pièce, je m’allonge en pensant à toutes les femmes qui se sont allongées là avant moi. Qui étaient-elles? En 537 ans, ça doit faire pas mal d’histoires qui ont défilé sur cette table de soins ancestrale… Couvertes de 30 cm de nuage savonneux, nous glissons… La mousse libère nos corps lisses de l’adhérence à la surface de la pierre… Et entre filles, on continue de se faire dorloter par les mains expertes de l’ouvrière du hammam…

 Ah si seulement je n’avais pas déjà la slavitude dans le sang, je me convertirais bien au stamboulisme.

               Une chose quotidienne me raccroche cependant à cet Orient : le café. Un bon café turc, avec une petite mousse brune claire au-dessus. Cette petite mousse dans laquelle certains de mes amis cherchent une bulle,  “un oeil” qui les regarderait… Quelqu’un qui penserait à eux autrement dit… Un petit café turc grâce auquel d’autres amis lisent l’avenir dans les marcs… Un petit café qui aussi rebute des amis comme Charlotte précisément, “à cause des marcs”… Mais justement, c’est ça qui fait tout l’intérêt du café : le danger de la dernière gorgée…! Celle, dont un ami, Riton, disait que c’était la meilleure parce que “la plus crémeuse”, mais pour la savourer, tout l’art réside dans le fait de savoir s’arrêter… juste à temps.

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