Roed, geel en greun. Philosophie carnavalesque.

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“Oh moi, je ne suis pas très carnaval tu sais…”

            Faux. Etre carnavaleux, c’est pas la question. Je suis à peu près sûre que dans toutes les communautés humaines non dégénérées depuis la nuit des temps, on peut retrouver une célébration du retour des beaux jours. Parce que c’est intrinsèquement lié au fait “d’être humain”. En tant qu’être humain, le premier système auquel nous appartenons est celui de la nature, celle qui donne la vie, nourrissant sa continuation. Donc le carnaval, ce n’est pas “se déguiser”+”boire de la bière”+ “lancer des confettis comme un bourrin” (en tous cas, pas seulement ça). C’est plutôt aller à l’extrême pour célébrer en grandes pompes le retour des feuilles vertes et des bourgeons sur les arbres. Beaucoup l’ont oublié. Peut-être même vous: la venue du printemps chaque année, sempiternellement, c’est la promesse que la vie finit toujours par reprendre… Et si ça ce n’est pas une raison d’être en liesse…

            Chaque année, quand je suis au Pieter, ce tout petit café toujours bondé au carnaval, avec ses murs recouverts de caricatures de personnalités populaires maastrichtoises, je monte sur la mini-estrade. De là, je regarde les sourires que les gens s’adressent. Je chante dans un genre de « yoghurt dialectal » maastrichtois des paroles que je ne comprends de toute façon pas et je m’en fous. Je lève les bras comme tout le monde et je ris. Parce que vraiment, c’est trop incroyable: la vie va reprendre et on est tous là pour attester de ce fait.

            J’avoue: j’ai pas compris ça tout de suite. Le sens, la vraie signification du carnaval je veux dire. Ca m’a pris quelques années. Je pense que c’est en 2010 ou en 2011… Je regardais les gens faire une farandole géante sur le Vrijthof de Maastricht et j’ai compris. Le carnaval, c’est chaque année une chance de reprendre les choses en main et de leur donner un nouveau souffle. Les arbres et les oiseaux nous le disent, encore faut-il l’entendre.

            Comme le dit si sagement mon ami Hein, carnavaleux maastrichtois d’adoption, il n’est pas question de devenir quelqu’un de différent pendant ces quelques jours de pré-Carême. On devient simplement la même personne mais “en plus fort” to celebrate life, dixit Hein. On exacerbe ses qualités, on fait ce qu’on ne peut pas faire pendant le reste de l’année. En fait selon Hein, c’est surtout le reste de l’année qu’on est déguisé. Au carnaval, on porte nos vrais vêtements, ceux qui parlent vraiment de nous.

            Ce qui est différent à Maastricht par rapport aux autres carnavals, c’est qu’à propos de ce qu’on ne peut pas faire pendant le reste de l’année, ici, ça se fait dans le respect des autres et du lieu, avec un grand investissement esthétique en plus. C’est la folie avec la mini-goutte d’éducation nécessaire pour que tout se passe bien. Les costumes sont élaborés, les sourires sont sincères. C’est un régal pour les yeux et le coeur. Mais le carnaval, c’est aussi une pléthore de coutumes connexes qui sont invisibles aux yeux des néophytes, dont:

  • Un protocole assez stricte pour certains, (peut-être même élitiste et patriarcal mais ça, je le dis pas trop fort), avec l’instauration d’un Prince Carnaval qui n’est jamais « n’importe qui », devant assumer des frais faramineux avec en échange une pléiade de privilèges offerts par la ville pendant le temps de son règne durant lequel, soirées d’inauguration et cérémonie de passation de pouvoir se succèdent. Cette année, le Prins Henri Ier fut un prince digne de ce nom. Ne serait-ce que pour les derniers moments du carnaval. A minuit, le jour du Mardi Gras, sur le Vrijthof, la poupée géante suspendue sur un haut poteau est décrochée. C’est la Mooswief, symbole de carnaval. Tous les carnavaleux rassemblés sur la place disent au revoir, et le Prince Carnaval, ému aux larmes, salue la foule en criant merci, avant de se jeter dans les bras de sa femme et de ses enfants… J’en ai des frissons rien qu’à l’écrire. C’est toujours un moment fabuleux. Un moment de joyeuse tristesse (si, ça existe. Dans ma vie en tous cas, ça existe). Tout le monde relève la tête pour contempler deux-trois feux d’artifice rouge, jaune et vert. Roed, geel en greun. Les couleurs universelles du carnaval qui nous rassemblent.

  • Un carnaval sans spectateur. Rien que des acteurs: tout le monde est déguisé, et il n’y a aucune échappatoire.

  • Une musique… partout et… spéciale. Un répertoire fait de compo aux sonorités bavaroises chanté en dialecte maastricthois mélangées à des reprises de tubes mondiaux sauce Vastelaovend (oreilles sensibles et **** coincés s’abstenir). Perso, je démarre au quart de tour dès les premières notes et je perds le contrôle: je sautille, je gambade, je tourbillonne dans les rues, sur les trottoirs et personne n’est là pour trouver ça bizarre. Il y a aussi tous les chanteurs « de carnaval »: DJ Fabrizio, Beppie Kraft, Ziesjoem!, Frans Theunisz… Chaque année, quelques nouveaux morceaux sortent du lot et étoffent la liste des autres tubes des décennies précédentes… Aaaaah. Qu’est ce que je kiffe cette musique. Et puis le maastrichtois, c’est trop sexy. Oh yes, talk to me in Mestreechs dialect. Oh yes.

  • C’est aussi: de la bouffe trop cool (tout ce qui est gras et frit, c’est bon surtout avec « de la mayonnaise normale ou de la mayonnaise belge? » (déduisant de ce fait que je ne suis pas « normale » et je trouve ça si exotique)). Mais aussi: les bisous de carnaval avec tout le monde et n’importe qui; mon caddie sans lequel je ne me sentirais pas assez néerlandaise et dans lequel je trimballe une réserve de vodkaS réputéeS chez les carnavaleux; LE barbecue du lundi soir avec les Chaupiques (quoi, j’ai encore jamais parlé des Chaupiques???); les amis qu’on ne voit qu’au carnaval; les amis qu’on ne voyait qu’au carnaval et que maintenant on voit pendant l’année; ma copine Renée (mon mentor carnavalesque); et le chou, concocté par ma petite maman: « li crolêye djote po n’nin èsse magnî des mohètes ». Oui parce que le Mardi Gras, à midi, on mange du chou pour « ne pas être mangé des mouches ». Je passe sur les préparations de costumes, les mises en jambes alcoolisées à la maison alors qu’on n’est pas encore maquillées, les décorations des cafés, les fanfares partout dans les rues… Ah oui, et le mercredi, quand tout est fini, que les rues sont nettoyées, que les costumes sont rangés, on se retrouve encore une fois dans les cafés avec ses amis pour manger un hareng. C’est le début du Carême. Ooooh, Vastelaovend à Maastricht, c’est vraiment TROP bien.

            Le carnaval, c’est une période de passage qu’il faut marquer physiquement. Un besoin humain intrinsèque qu’il faut matérialiser sous peine d’être tout détraqué. Vous avez loupé le coche cette année? Et bien voilà une excellente raison de déjà noter dans vos agenda les dates du Vastelaovend 2015, parce que nous, on décompte déjà les jours.

Ouverture du carnaval

 De elfde van de elfde (le 11/11 à 11:11 en novembre donc)

Sur le Vrijthof à Maastricht, l’ouverture du Carnaval a lieu en grandes pompes avec les chanteurs «spécialisés» et déjà pas mal de monde déguisé.

Vastelaovend 

15-16-17 février 2015.

 Il reste, au moment où j’écris, 311 jours et 21h. Si vous aussi vous êtes curieux, il y a même une page pour les décomptes: http://www.vastelaovendinlimburg.nl/2014/03/04/dit-was-vastelaovend-2014-op-naar-2015/

Soyons fous et de bonne humeur. Soyons Maastrichtois les 15-16-17 février 2015.

 

One thought on “Roed, geel en greun. Philosophie carnavalesque.

  1. alors là, une ‘étrangère’ qui a tout compris du carnaval de Maastricht… bravo, un article merveilleux et re-bienvenue à Maastricht l’année prochaine 😉 !

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